jeudi 9 avril 2015

Pixels romains ou l'art de la mosaïque

"Le bonheur n'est pas un diamant gros comme une maison, c'est une mosaïque de petites pierres dont aucune souvent n'a une valeur générale et réelle pour les autres. Ce gros diamant, cette rose bleue, ce gros bonheur, ce bonheur monolithe, est un rêve".
Alphonse KARR – Un voyage autour de mon jardin – 1845

Quelle jolie définition ! Je la fais mienne !

mosaïque


Si toutes ces petites pierres fabriquent un joli bonheur elles forment également de magnifiques mosaïques. Et comme c'est moi qui tiens la plume, laissez-vous  emmener vers le monde minéral, qu'ils soient communs ou précieux, monochromes ou colorés, ces petits cailloux sont tous chargés d'histoires, de savoir-faire et de beauté.

Le terme mosaïque vient du latin "musiuum opus" qui désigne à l'origine les mosaïques qui ornaient les grottes naturelles ou artificielles que les romains consacraient aux muses. Ces lieux se nommaient "musaea", l'appellation de leurs décors devint musiuum opus puis musiuum. Par extansion, le mot fut attribué aux mosaïques murales puis à la technique dans son ensemble.

Réalisée avec de petits carrés de matière dure la mosaïque est posée au sol (mosaïque de pavement), aux murs et aux voûtes (mosaïque pariétale). Des petits cubes de pierre, de marbre ou de terre cuite sont taillés. Déjà des pixels en somme ! Plus ils sont petits, plus le dessin est précis, plus les dégradés de couleurs combinent des jeux de lumière et d'ombre, des effets de profondeur, de perspective et de volume ce qui faisait dire à Pline l'Ancien de la mosaïque qu'elle était "de la peinture en pierre"

Colombes - Maison de la mosaïque aux colombes - Pompéi

L'art de la mosaïque traverse les siècles et les continents. Après la conquête de la Grèce, les romains, grands copieurs devant l'éternel, adoptent cette technique et la propage dans toutes leurs provinces. La mosaïque pénètre dans tous les bâtiments, qu'ils soient publics ou privés. Allant de simples dessins géométriques en noirs et blancs, de motifs végétaux stylisés, des scènes mythologiques, tableaux de vie quotidienne, natures mortes. On la rencontre en Gaule, en Germanie, en Angleterre, dans les Balkans, dans le bassin méditerranéen et Proche Orient, en Afrique, en fait dans tout l'empire.

Chat attrapant un oiseau - Aile de la maison du faune, Pompéi
Ainsi, de multiples exemples de mosaïque sont aujourd'hui dévoilées au grand public et les chantiers archéologiques ne cessent d'en révéler ici ou là. Car les mosaïques, à l'inverse d'autres productions artistiques, ont particulièrement bien résisté aux vicissitudes du temps, c'est ce qui en fait aussi leur particularité. Elles semblent durables, inusables et éternelles. En pavement, elles étaient lavées à grande eau et présentait une étanchéité certaine donc une protection contre l'humidité, raison pour laquelle elles ornaient bassins et fontaines.

Si la mosaïque se définit comme l'organisation d'une surface à décorer, elle est essentiellement liée à l'architecture ; la pièce est son écrin. Ecrin à l'image de son propriétaire, riche, cultivé, érudit ou voulant se monter comme tel, et reflet de ses croyances et de ses goûts.


Mosaiques de pavement dans leur contexte
A gauche : Maison des griffons - chambre II
A droite : reconstitution réalisée au Métroplitan Muséum of Art de New York
(Source : fresques des villas romaines - Citadelles & Mazenod)
Ainsi, les mosaïques deviennent somptueuses, avec des éléments décoratifs extraordinaires, pour certaines presque du 3D tant les volumes sont rendus magnifiquement par des dégradés de couleurs. A travers les sujets évoqués, ces mosaïques nous racontent des histoires, vie quotidienne, mythologie, ce sont de véritables bandes dessinées pour qui veut les lire. On peut aisément illustrer ce propos avec le si célèbre "cave canem" qui se suffit à lui-même.
Cavé Canem - Maison du poète tragique - Pompéi

Autre point qui me paraît remarquable c'est la dimension de ces œuvres, les surfaces décorées sont souvent très grandes, le nombre de tesselles est donc proportionnel, et chaque tesselle est taillée ! Rendez-vous compte que la célèbre mosaïque ayant pour sujet la victoire d'Alexandre le Grand sur Darius compte environ 2 millions de tesselles ! Impossible de ne pas songer au temps passé, aux gestes de chaque artisan. Je n'ai malheureusement pas trouvé de renseignement quant à l'organisation du métier de mosaïste à cette époque.


La bataille d'Alexandre à Issos - Maison du Faune - Pompéi
Dim. 5,40 m x 2,80 m 

Curieusement, ces mosaïques ne sont pas signées. La technique de la mosaïque était-elle considérée comme un artisanat ou un art mineur ?

Et pourtant, l'art de la mosaïque traverse 6000 ans d'histoire pour arriver jusqu'à nous. Sous l'empire romain à son apogée, elle s'étendra sur un territoire de 2 750 000 km2. C'est un formidable reportage dont le titre pourrait être la vie sous l'Empire romain. Un magnifique livre d'images ! Son histoire ne s'arrête pas là et nous aurons l'occasion d'ouvrir plus tard un autre chapitre.

Sources :
- Encyclopédia universalis
- Pompéi – Erich Lessing – Antonio Varone - TERRAIL

Et pour en savoir plus sur la restauration des mosaîques :

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