samedi 25 avril 2015

Cadre on line ! Restauration d'un cadre

cadre restauration
Cadre
Détails et teintes des trois phases de la restauration

Donnons d'abord un cadre à cette histoire, l'histoire de ne pas être hors cadre !

Il était une fois un vieux cadre qui se désespérait dans une vieille cave. Depuis un moment, il me regardait en coin, anéanti par mon mépris. Je l'ignorais, lui jetant à peine un regard malgré son appel  pitoyable. Puni qu'il était au fin fond de ma cave.

Il tentait bien de me faire signe mais je persistais à l'ignorer, je me doutais bien qu'une fois entre mes mains, plus question de m'en défaire.

Et puis un jour pas comme les autres, va savoir pourquoi ! Ni une, ni deux je le sors de sa prison.

Le temps de nous jauger, de nous apprivoiser. Que pouvions-nous faire ensemble pour restituer son lustre d'antan ? Allait-il se laisser faire ou résister ? Me révéler quelque secret inavouable m'amenant à la funeste conclusion : plus rien à faire pour le préserver ? Avais-je l'énergie, la patience et les moyens de le sauver sans lui faire perdre la face ? Lui faire plus de mal que de bien ?

blanc de meudon
Travail en cours
Les parties blanches sont les parties reprises au blanc de Meudon

D'abord, une période d'observation : une belle moulure bien ronde, bien grasse. Un décor de feuilles d'acanthe et de fleurettes. Pas très vieux, probablement 19ème,  il était fait d'un décor mouluré en plâtre qui gentiment se décollait ici et là, sans compter des morceaux de décor absents, décollés, tombés, perdus. Le tout revêtu d'une teinte verdâtre tandis que quelques traces d'or subsistaient, restes archéologiques d'une dorure à la feuille dans une première vie. Il était loin le temps où il brillait de tous ses feux. La chute était terrible, mais ainsi passe la gloire…..

Pas de traumatisme pour ce cadre, de la douceur : des produits et des méthodes réversibles, il n'y a pas mieux. Alors, faites chauffer la colle ! Mais pas n'importe quelle colle, non de la bonne vieille colle de peau de lapin. Mais qu'est-ce donc, me direz-vous ! C'est une colle animale obtenue après différents traitements de la peau de lapin. Il s'agit d'extraire du collagène sous forme de gélatine. Cette gélatine est commercialisée en plaques, en granulés ou en poudre sous l'appellation de colle de peau de lapin.

Pour l'utiliser, on laisse gonfler les granulés dans de l'eau pendant une nuit, la colle est ensuite chauffée au bain Marie. La température de la colle ne doit jamais dépasser 60° sous peine de perdre ses propriétés. La réchauffer à plusieurs reprises est également à éviter car celle-ci devient alors cassante en séchant.  Cette colle ne se conserve pas, et se dégrade rapidement attaquée par de vilaines bactéries ! D'aucuns conseillent d'y ajouter une goutte d'essence d'aspic ou un clou de girofle pour leurs propriétés antiseptiques….

Connue depuis 16ème siècle, préparée avec plus ou moins d'eau, additionnée ou non avec une charge (blanc de Meudon ou pigments par exemple), cette colle d'une grande souplesse est utilisée à chaud en dorure, en peinture décorative …..

Mais revenons à notre cadre. Ainsi j'utilisai cette fameuse colle plus ou moins chargée en blanc de Meudon pour combler les fissures, fixer les soulèvements, et recoller certaines pièces.

blanc de meudon
Motif de l'angle réalisé par moulage 

Pour les parties manquantes, j'ai procédé par moulage. Merci ma sœur qui rapidement m'a fourni de l'alginate, produit utilisé par les dentistes pour prendre les empreintes des dents. Et oui, je fais  feu de tout bois ! Mais je n'ai rien innové, certains sculpteurs utilisent cette poudre depuis longtemps !

Le décor étant symétrique et répétitif, j'ai pris l'empreinte d'une pièce saine pour faire un moulage en apposant ma pâte d'alginate sur cette dernière. Le moule réalisé est ensuite rempli de pâte (colle de peau de lapin + blanc de Meudon). Après démoulage, la pièce est collée pour remplacer la partie lacunaire.

Une fois ces opérations réalisées….     Un ponçage soigné. C'est fou la part du ponçage dans mes activités ! 

Et par-dessus tout ça, comme disait si joliment Monsieur 100 000 volts, un noir chaleureux sur une couche d'assiette rouge, puis un léger ponçage sur les reliefs et pour finir une cire incolore. Ce cadre méritait bien que l'on s'inspire des cadres flamands souvent noirs au 17ème.

cadre
Pose de la teinte rouge

Notre  cadre  était  maintenant  sorti d'affaire et si  sa fonction est bien souvent de limiter l'espace,  il fut pour moi  l'occasion de meubler  le mien !


cadre
Cadre restauré teinté et ciré

vendredi 17 avril 2015

Les vanités, même pas peur !

Mais quelle vanité que de poser des coquilles d'œufs (de poule)  sur un crâne humain (en résine je vous rassure) ! 

Première opération : un véritable jeu de patience ; des creux et des bosses, des bosses et des creux ! Atteindre et combler les orbites, mosaïque de petites coquilles à coller le plus régulièrement possible, le parti pris étant de coller serré, comme dit la chanson. Mais il ne s'agissait pas seulement de les poser de façon jointive, il fallait que chaque morceau reste à sa place lors des opérations suivantes. Une petite précision, la coquille d'œuf est collée du côté convexe (côté coloré). Le vernis appliqué auparavant sur le support fait office de colle, un morceau de coquille est alors appliqué puis fractionné en petits morceaux par un ou plusieurs appuis. Deux outils pointus, un dans chaque main servent en même temps à maintenir et à fractionner la coquille. Une fois que la pose et les dimensions des coquilles posées conviennent, on passe à un autre morceau et ainsi de suite…

coquilles d'oeufs
Pose des coquilles d'oeufs

Après  un  temps certain ou  un certain  temps,  une  vérification minutieuse : contrôler qu'aucune pièce du puzzle ne s'est envolée et y remédier si nécessaire. Puis passage à la deuxième phase moins fastidieuse. Recouvrir ce joli crâne d'œuf de couleur. Un savant mélange de pigment noir, de térébenthine et de vernis recouvre à plusieurs reprises l'objet satanique. De blanc, mon crâne devient tout noir, la coquille d'œuf est noyée dans la couleur. Ainsi, le noir s'infiltre dans les interstices comme un joint, affleurant la surface des coquilles. Il ne doit pas y avoir de différence de niveau entre les coquilles et le joint par la suite.


tête de mort et coquilles d'oeufs
Coquilles d'oeufs noyées dans la couleur


Vous allez me dire, mais il est tout noir ! Et oui, il est tout noir, alors quoi ? Alors on prend de l'eau, de l'abrasif et c'est ponçage ! Au fur et à mesure du ponçage, le noir s'en va pour laisser place à la coquille avec des  joints bien noirs ! Pas si facile que ça, toujours mes creux, mes bosses et mes orbites ! Pas question de frotter comme une furie ou de prendre un abrasif costaud, la tentation est grande ! Pour la réussite de l'opération le ponçage doit être uniforme, même degré de blancheur sur toute la surface. Et si la coquille d'œuf est trop poncée, elle s'abîme, devient grisâtre ou disparaît. Pas question d'erreur, même pédagogique !

On passe alors aux dernières phases, vernis, ponçage, vernis, ponçage, vernis ponçage, la surface doit être parfaitement plane, on termine par le lustrage et voilà notre vaniteuse vanité laquée !

coquilles d'oeufs
Vanité laquée
Coquilles d'oeufs et vernis

Aujourd'hui, le crâne humain ne fait plus peur. Fantaisiste, récupéré, détourné et coloré par la mode, le design et l'art contemporain. Des couleurs avec Andy Warhol, des diamants avec Damien Hirst ! Pourquoi pas des coquilles d'œufs pour D'ors et d'arts ! L'épouvantable devient fréquentable, le crâne humain devient fashion !

Damien Hirst : http://www.damienhirst.com/artworks/catalogue

Les incrustations de coquilles d'œufs sont des décors utilisés traditionnellement dans l'art de la laque ; la couleur blanche n'existait pas. La période "Art déco" a redonné ses lettres de noblesse à cette technique et pour en savoir plus :



jeudi 9 avril 2015

Pixels romains ou l'art de la mosaïque

"Le bonheur n'est pas un diamant gros comme une maison, c'est une mosaïque de petites pierres dont aucune souvent n'a une valeur générale et réelle pour les autres. Ce gros diamant, cette rose bleue, ce gros bonheur, ce bonheur monolithe, est un rêve".
Alphonse KARR – Un voyage autour de mon jardin – 1845

Quelle jolie définition ! Je la fais mienne !

mosaïque


Si toutes ces petites pierres fabriquent un joli bonheur elles forment également de magnifiques mosaïques. Et comme c'est moi qui tiens la plume, laissez-vous  emmener vers le monde minéral, qu'ils soient communs ou précieux, monochromes ou colorés, ces petits cailloux sont tous chargés d'histoires, de savoir-faire et de beauté.

Le terme mosaïque vient du latin "musiuum opus" qui désigne à l'origine les mosaïques qui ornaient les grottes naturelles ou artificielles que les romains consacraient aux muses. Ces lieux se nommaient "musaea", l'appellation de leurs décors devint musiuum opus puis musiuum. Par extansion, le mot fut attribué aux mosaïques murales puis à la technique dans son ensemble.

Réalisée avec de petits carrés de matière dure la mosaïque est posée au sol (mosaïque de pavement), aux murs et aux voûtes (mosaïque pariétale). Des petits cubes de pierre, de marbre ou de terre cuite sont taillés. Déjà des pixels en somme ! Plus ils sont petits, plus le dessin est précis, plus les dégradés de couleurs combinent des jeux de lumière et d'ombre, des effets de profondeur, de perspective et de volume ce qui faisait dire à Pline l'Ancien de la mosaïque qu'elle était "de la peinture en pierre"

Colombes - Maison de la mosaïque aux colombes - Pompéi

L'art de la mosaïque traverse les siècles et les continents. Après la conquête de la Grèce, les romains, grands copieurs devant l'éternel, adoptent cette technique et la propage dans toutes leurs provinces. La mosaïque pénètre dans tous les bâtiments, qu'ils soient publics ou privés. Allant de simples dessins géométriques en noirs et blancs, de motifs végétaux stylisés, des scènes mythologiques, tableaux de vie quotidienne, natures mortes. On la rencontre en Gaule, en Germanie, en Angleterre, dans les Balkans, dans le bassin méditerranéen et Proche Orient, en Afrique, en fait dans tout l'empire.

Chat attrapant un oiseau - Aile de la maison du faune, Pompéi
Ainsi, de multiples exemples de mosaïque sont aujourd'hui dévoilées au grand public et les chantiers archéologiques ne cessent d'en révéler ici ou là. Car les mosaïques, à l'inverse d'autres productions artistiques, ont particulièrement bien résisté aux vicissitudes du temps, c'est ce qui en fait aussi leur particularité. Elles semblent durables, inusables et éternelles. En pavement, elles étaient lavées à grande eau et présentait une étanchéité certaine donc une protection contre l'humidité, raison pour laquelle elles ornaient bassins et fontaines.

Si la mosaïque se définit comme l'organisation d'une surface à décorer, elle est essentiellement liée à l'architecture ; la pièce est son écrin. Ecrin à l'image de son propriétaire, riche, cultivé, érudit ou voulant se monter comme tel, et reflet de ses croyances et de ses goûts.


Mosaiques de pavement dans leur contexte
A gauche : Maison des griffons - chambre II
A droite : reconstitution réalisée au Métroplitan Muséum of Art de New York
(Source : fresques des villas romaines - Citadelles & Mazenod)
Ainsi, les mosaïques deviennent somptueuses, avec des éléments décoratifs extraordinaires, pour certaines presque du 3D tant les volumes sont rendus magnifiquement par des dégradés de couleurs. A travers les sujets évoqués, ces mosaïques nous racontent des histoires, vie quotidienne, mythologie, ce sont de véritables bandes dessinées pour qui veut les lire. On peut aisément illustrer ce propos avec le si célèbre "cave canem" qui se suffit à lui-même.
Cavé Canem - Maison du poète tragique - Pompéi

Autre point qui me paraît remarquable c'est la dimension de ces œuvres, les surfaces décorées sont souvent très grandes, le nombre de tesselles est donc proportionnel, et chaque tesselle est taillée ! Rendez-vous compte que la célèbre mosaïque ayant pour sujet la victoire d'Alexandre le Grand sur Darius compte environ 2 millions de tesselles ! Impossible de ne pas songer au temps passé, aux gestes de chaque artisan. Je n'ai malheureusement pas trouvé de renseignement quant à l'organisation du métier de mosaïste à cette époque.


La bataille d'Alexandre à Issos - Maison du Faune - Pompéi
Dim. 5,40 m x 2,80 m 

Curieusement, ces mosaïques ne sont pas signées. La technique de la mosaïque était-elle considérée comme un artisanat ou un art mineur ?

Et pourtant, l'art de la mosaïque traverse 6000 ans d'histoire pour arriver jusqu'à nous. Sous l'empire romain à son apogée, elle s'étendra sur un territoire de 2 750 000 km2. C'est un formidable reportage dont le titre pourrait être la vie sous l'Empire romain. Un magnifique livre d'images ! Son histoire ne s'arrête pas là et nous aurons l'occasion d'ouvrir plus tard un autre chapitre.

Sources :
- Encyclopédia universalis
- Pompéi – Erich Lessing – Antonio Varone - TERRAIL

Et pour en savoir plus sur la restauration des mosaîques :

jeudi 2 avril 2015

Quésaco coquecigrues ? De drôles d'oiseaux de papier mâché

Déniché par mon frère et perché sur une étagère un drôle d'animal en carton-pâte me regardait sournoisement. Devant l'impossibilité de lui attribuer une quelconque ressemblance avec tout ce qui vole, court ou marche, je l'avais baptisé "coquecigrue" tant il semblait un assemblage hétéroclite de plusieurs bestioles.

L'envie me prit d'en fabriquer un spécimen et tant qu'à faire, autant l'accompagner de quelques acolytes. La collection de coquecigrues était lancée, ainsi naquirent Gudule, Théodule, Gédéon, Almanzor, Nestor, Isidore, Omer et Léonard.

J'optais pour la technique du papier mâché, jamais pratiquée auparavant pas plus que le modelage. Ce fut donc une première et une improvisation totale ! Un gloubiboulga d'eau, de colle, de papier et c'était parti pour une série !

Papier mâché
Gudule h 30 cm - Théodule h 27 cm - Gédéon h 30 cm - Almanzor h 25 cm
D'abord modelage de la tête, puis du corps, suivi des pattes et pour terminer les pieds. Dans un deuxième temps, les plumes et le bec, (je te plumerai les ailes et les ailes et le bec alouette !) Mais pour réaliser une espèce d'oiseau échassier, il fallait armer certaines structures de fil de fer et c'était brusquement moins simple ! Et moi, je m'armais de patience ! Mais bon, après plusieurs tentatives malheureuses, pattes et longs cous se tenaient à la verticale. Alors, à grand renfort de cure-dents la bête fut assemblée. Ne pas oublier que la pâte à papier est humide donc molle et lourde quand on la travaille, puis elle devient plus légère et se rétracte en séchant……..    Et mes volatiles se vautraient lamentablement !

Nombreuses furent les chutes brutales, les affaissements, cassures et réparations dont furent victimes mes coquecigrues pendant leur création. Et que dire de leur stabilité ? C'est là qu'on réalise à quel point les oiseaux ont naturellement de l'équilibre ! Que faire pour que mes petites bêtes tiennent debout ? un peu plus de poids, un peu moins de poids et rebelote et tout devenait de plus en plus complexe ! Leur système tonique postural n'était pas au point ! Fallait-il que je calcule le barycentre ? Le polygone de sustentation ou le centre de gravité ?


Papier mâché
Nestor h 20 cm - Isidore h 25 cm

Il semble que ces coquecigrues se vengeaient de l'inconsciente présomptueuse qui avait décidé de les représenter, car il faut savoir et je me suis renseignée, que selon certaines sources, ces animaux sont nés des amours contre-nature d'un coq, d'une grue et …..   de la ciguë dont ils sont friands. Selon d'autres sources, l'assemblage est constitué d'un coq, d'une cigogne et d'une grue. Rabelais raconte que son héros Picrochole attend leur venue pour récupérer son royaume. Il peut attendre jusqu'à la Saint-Glinglin….    Et moi, devais-je attendre que les poules aient des dents pour que mes volatiles consentent à se dresser sur leurs pattes ?

Tant de déconvenues semblant s'amonceler sur mon ouvrage, je finissais par craindre que ces coquecigrues ne fussent en réalité que des chimères dont on sait qu'elles sont malfaisantes ……. Mais aujourd'hui, campées sur leurs deux pieds et habillées de couleurs, je peux vous dire que ce sont bien des coquecigrues, gentilles et burlesques, elles apporteront la joie à ceux qui les aimeront car elles sont un peu magiques !


Papier mâché
Omer - coquilles d'oeufs  h 24 cm - Léonard h 20 cm


Et vous, les aimez-vous ? Alors indiquez-moi celle qui a vos faveurs et laissez un petit commentaire, elles en seront ravies.