jeudi 26 mars 2015

Pastel, heurs et malheurs de l'Isatis Tinctoria ou pastel des teinturiers


Pastel
Trois pastels - 10 cm x 10 cm

Il était une fois une jolie fleur jaune cousine de la moutarde ; l'Isatis Tinctoria.  Elle poussait à foison essentiellement dans notre pays de Cocagne, aujourd'hui le midi toulousain. Bien que celle-ci fût de couleur jaune, ses feuilles donnaient un beau bleu : l'indigo, qui fit la fortune, puis l'infortune des cultivateurs, des teinturiers et des négociants de la région, tant il est vrai que rien n'est jamais acquis dans ce bas monde !

Hélas, au 16ème siècle venu du nouveau monde par bateau, l'indigotier ou fleur d'Inde, abondant et bon marché supplanta notre belle Isatis qui finit par s'étioler. L'industrie de l'or bleu était en ruine !

Rien n'y fit, même pas l'édit de notre bon roi Henri IV qui non content de s'occuper de notre poule au pot dominicale, s'intéressa à notre belle Isatis en décrétant punir de la peine de mort quiconque emploierait l'indigo cette "drogue fausse et pernicieuse". Le "made in France" était né, un peu violemment sans doute !

N'empêche, la raison économique, déjà l'emportant sur toutes autres considérations, ladite Isatis disparut de nos contrées ; l'extraction de l'indigo était une opération fort longue et très coûteuse.

Isatis tinctoria Maison rustique
La nouvelle maison rustique - 1775
Tome I - Document personnel 
 Puis vint le temps des guerres et le commerce maritime fut difficile et périlleux. La fleur d'Inde devint rare et donc …..   chère ! Le petit corse en appela, par décret du 3/07/1810 aux savants et l'on vit refleurir la culture du pastel pour que de bleu soient colorées toutes ses armées !

Comme je l'ai déjà dit, rien n'est jamais stable en ce bas monde et bientôt la chimie s'en mêla. Notre belle Isatis Tinctoria ne put rivaliser avec les colorants de synthèse.



Isatis tinctoria Maison rustique
La nouvelle maison rustique - 1775
Tome I - Document personnel 

Mais j'aime les jolies fins et notre histoire rebondit encore une fois : d'aucuns aujourd'hui remettent au goût du jour notre précieuse Isatis. Ce joli bleu pastel est de nouveau le fleuron d'une région, ainsi dit-on du "bleu de Lectoure".


Notre fleur de pastel, lors de son exploitation par les teinturiers, laissait sur le bord des cuves une écume appelée "fleurée bleue". De cette écume sont issus les pigments bleus utilisés pour la fabrication des bâtonnets de pastel. Par extension, nos bâtons de pastel deviennent de toutes les couleurs. Il semblerait que la première recette de fabrication date de 1574.

Saintin François JOZAN (1797 - 1867) Peintre, professeur de dessin et de peinture nous en donne plusieurs recettes dans son ouvrage : "Du PASTEL – Traité de sa composition, de sa fabrication et de son emploi dans la peinture" – Paris 1847 – http://books.google.com



Pastel de Saintin François Jozan
d'après une oeuvre de Edouard Magnus  - Peintre allemand (1799-1872)

De même A.L. MILLIN – Dans son dictionnaire des beaux-arts – tome III – De l'imprimerie de Crapelet à Paris chez Desray libraire – 1806 – http://books.google.com nous donne la définition suivante :

"C'est une peinture où les crayons font l'office des pinceaux. Le mot pastel vient de ce que les crayons dont on se sert sont faits avec des pâtes de différentes couleurs. Pendant que la pâte est molle, on donne à ces espèces de crayons la forme de petits rouleaux aisés à manier. C'est, de toutes les manières de peindre, celle qui passe pour la plus facile et la plus commode en ce qu'elle se quitte, se reprend, se retouche, et se finit quand on veut."

Il nous dit également : " La peinture au pastel est plus fraîche, plus gaie que la peinture à l'huile, elle répond au goût de l'époque pour le petit, le délicat, le badin, le léger". (Nous sommes au 18ème siècle âge d'or du pastel). 

Et de conclure cette promenade autour du pastel par ce joli poème :
"Les crayons mis en poudre imitent les couleurs,
Qui dans un teint parfait offrent l'éclat des fleurs.
Sans pinceau, le doigt seul place et fond chaque teinte,
Le duvet du papier en conserve l'empreinte,
Un cristal la défend ; ainsi, de la beauté
Le pastel à l'éclat et la fragilité".

Henri Watelet (1717 – 1786) Peintre et homme de lettres.

Poème mis en exergue sur le traité de S. F. JOZAN cité plus haut. 

Pour en savoir plus : 


mardi 17 mars 2015

Travailleuse à la peine ! Une seconde jeunesse pour une table à ouvrage !

Après des années de bons et loyaux services, cette honnête travailleuse allait terminer sa carrière, comme c'est souvent le cas, sur un bout de trottoir, exposée à la pluie, au froid, et pire au mépris des passants !

J'aime trop le bois et les meubles pour les laisser ainsi à leur triste sort, condamnés à la décharge, aussi simples soient-ils. Alors gorgée d'eau, décollée de toute part, triste mine ; sordide épilogue pour cette table à ouvrage, aussi appelée "travailleuse". Ni une, ni deux, J'embarquai la travailleuse bancale.

Placage décollé

Relookage d'une table à ouvrage

Avant restauration
Placage décollé - absence du miroir

Au fait, d'où venait-elle cette travailleuse ? Dans sa première vie, je l'imaginais aux côtés d'une petite mamie toute ridée. Et qui dit mamie, dit immédiatement grand-mère.

Ma grand-mère et sa travailleuse pleine de cartonnettes de cotons à repriser, son précieux dé à coudre tout cabossé, un porte-aiguilles fabriqué par ses petites filles et cher à son cœur, de ravissants petits ciseaux à broder et surtout un bel œuf en bois, lisse et brillant d'avoir tant reprisé ! Qui connaît encore ce merveilleux objet de nos jours ? C'est ma madeleine à moi cet œuf, il renferme tous mes souvenirs, toute mon enfance et ma si chère grand-mère. Je la revois, ombre fragile assise près d'une fenêtre, dans un rai de lumière, reprisant quelques chaussettes trouées, les lunettes sur le bout du nez ! Elle s'installait toujours dans le même fauteuil après le déjeuner et reprisait les patates des papapouces ! Comprenez les trous que font les pouces de pieds dans les chaussettes.

Mais je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître ! Nous étions loin de cette consommation à tout crin. J'aime à croire que c'est d'elle que je tiens cette manie de ne rien jeter, de récupérer et de réparer.

Propos décousus pour histoires de couture ? Reprenons le fil et revenons à notre ouvrage. En mémoire de toutes les mamies du monde, qui patiemment reprisaient, rapiéçaient ou ravaudaient, cette table à ouvrage sera, à son tour, raccommodée.

Il lui fallait un grand coup de soleil. Envie de lui redonner quelques couleurs à cette petite table, un peu de gaité. Et puis de vous à moi, le style shabby chic ou pas chic à toutes les sauces…. Un peu trop vu !

Mais d'abord, nettoyage, recollage, déplaquage, ponçage ; elle avait déjà meilleure allure. Je me la joue à la Mary Poppins ; une petite  chanson, un claquement de doigts, un coup de superkalifragilistic  et hop prête  pour l'étape  suivante,   un coup  de  peinture ? D'accord mais la couleur ?

Restauration et relookage meuble
Travailleuse après recollage,
déplaquage et ponçage

Soudain, épinglées au mur de l'atelier, trois reproductions d'Elisabeth Vigée-Le Brun m'ont fait un clin d'œil. Ce sera un joli bleu et un bel orange ! Intéressant de s'inspirer de cette grande portraitiste du 18ème, indépendante, féministe avant l'heure, qui réussit à s'imposer en France en Europe jusqu'en Russie. Transposer sa touche précieuse et raffinée sur ce petit meuble d'une extrême simplicité ça fonctionne ; lui donnant plus d'allure et plus de caractère.


Elisabeth Vigée-Le Brun
Portraits d'Elisabeth Vigée-Le Brun

Voilà comment une petite table à ouvrage s'est retrouvée pimpante sans perdre son âme !

Relookage meuble
Travailleuse après restauration
Peinture à la caséine et cire incolore

"le bleu, couleur intemporelle et raffinée" nous dit Marie Claire Maison.com dans son billet du 22/03/2015 !


Bonne nouvelle ! Elisabeth Vigée-Le brun sera exposée au Grand Palais du 22/09/2015 au 11/01/2016http://www.grandpalais.fr/fr/evenement/elisabeth-louise-vigee-le-brun


mardi 10 mars 2015

Gentils coquelicots nouveaux, trois panneaux laqués

Petite ritournelle d'une comptine enfantine, ces deux vers n'ont jamais cessé de rythmer mon travail sur ces trois panneaux et bien malin qui peut m'en donner la raison. Comme si, sans ce leitmotiv scandé à mi-voix, mon pinceau devenait inerte.


Panneaux laqués

Vernis gras et pigments
D'ors et d'arts
Panneaux laqués 18 x 22 - Pigments - vernis gras

Coquelicot…  Le mot est joli et quelle musicalité ; la sonorité me plaît tout comme j'adore prononcer libellule, nyctalope ou salmigondis ! En anglais, pas mal non plus ; il perd deux syllabes et devient poppy. Bref, élégant et du peps !

Coquelicot… Porté par les anglais lors du "Remembrance day" souvenir des coquelicots qui poussaient autrefois dans les champs de Flandres pendant la 1ère guerre mondiale, évoqués par John McCrae dans son poème "Au champs d'honneur".

Coquelicot... Fleur rebelle et libre, qui pousse où elle veut, longtemps considérée comme une mauvaise herbe. Dans la symbolique des fleurs, elle incarne "l'ardeur fragile". Mais si coquelicot est du genre masculin, cette fleur se pare d'attributs féminins ; flamboyante et fragile, élégante et délicate, simple et éclatante. Empreinte de folle gaieté ou de grande nostalgie. "Tous les coquelicots ou les lèvres des femmes" écrivait Pierre REVERDY. (La parole descend)

Coquelicot de mon jardin
Et puis, ma petite comptine nous dit : 
"Que les hommes ne valent rien 
Et les garçons  encore moins bien
Gentil coquelicot Mesdames
Gentil coquelicot"

Je laisse à chacun et à chacune l'analyse de ces quatre vers ! Pas si innocente que ça cette comptine….. Au lendemain de la journée de la femme…..   Que penser ?

Je préfère les coquelicots si bien chantés par Mouloudji, Charles Trenet, Bourvil, et merveilleusement peints par Claude Monet à qui l'on pourrait associer ce poème de Robert DESNOS :

Champs de coquelicots - Monet
Claude Monet
Champs de coquelicots - 1873
Musée d'Orsay

Le champ de blé met sa cocarde
Coquelicot.
Voici l'été, le temps me tarde
De voir l'arc-en-ciel refleurir.
L'orage suit, il va mourir,
Nous irons te cueillir bientôt,
Coquelicot.
(Robert Desnos, Chantefleurs, 1944-1945)

Alors, que dire de ces quatre vers :

Le myosotis, et puis la rose
Ce sont des fleurs qui disent quelque chose
Mais pour aimer les coquelicots
Et n'aimer que ça... faut être idiot
(Texte chanté par Mouloudji - Paroles de Raymond Asso)

Coquelicot de mon jardin



                                      Serais-je idiote ? 

mercredi 4 mars 2015

Marchands de couleurs

"Faire l'artiste" est une activité qui donne du relief à la vie en procurant de grands moments d'exaltation et d'autres, de profonde déprime. Mais il existe, entre les deux, des moments de plaisir peu connus des profanes, mais quand même intenses : je veux parler des visites à ceux que l'on nommait autrefois de ces termes charmants ; marchands de couleurs ou droguistes…..

Là, nous entrons dans un monde d'émerveillement où voyage l'imagination sans aucune limite. Songez aux différentes colles, ingrédients prosaïques s'il en est, la colle de poisson, la colle de peau de lapin, la colle d'os et de nerf……..   Non, non, il ne s'agit pas de sorcellerie !

Au rayon droguerie : l'eau japonaise, le carbonate d'ammonium, le sulfure de cuivre, l'ambre, la popote…..   Que d'évocations !

Les pinceaux m'enchantent, des petits, des gros, des fins, des longs, en poils de martre ou de mangouste ! Je les veux tous !

Et c'est pas fini ! Que dire des pigments, dont les noms, sur de petites étiquettes surannées sont déjà une invitation à la poésie : le rouge pourpre, la terre verte de bohème, le rouge vénitien, le jaune de mars, le vert malachite, l'alizarine, la garance……

Voyage autour du monde mais voyage dans le temps. Comment ne pas songer à tous ces peintres, artistes et artisans des siècles passés ? Petite et grande histoire de l'art.

Marchands de couleurs, amis des artistes : Le père Tanguy fournisseur de Renoir, de Van Gogh et de bien d'autres. Madame Haro et Delacroix. Leur rôle n'était pas des moindres : fournisseurs, parfois galeristes, chimistes, ils ont largement participé et contribuent encore à l'avancée technique de bon nombre de produits.


Alors, l'art s'est déjà beau quand on énumère les produits ! Et là pas question de shopping en ligne, rien ne vaut le plaisir d'une visite chez Laverdure ou chez Adam pour ne citer que ces derniers. 




Marchand de couleurs Maurice Utrillo

Marchand de couleurs à St Ouen - Maurice Utrillo 



Produits marchands de couleurs

Indicateur de produits chez les marchands de couleurs (1863)



Laverdure et fils - enseigne et devanture


Pinceaux et pigments